Solidarité intercontinentale

ZAD de H
La ZAD de H s’est installée dans le seul espace vert de la commune, destiné à devenir la première mégaprison belge. L’observation très « participante » de cette zone occupée a abouti à une sorte de petite bande dessinée graphique aussi maladroite que hors cadre, d’une part parce qu’elle est le début balbutiant d’un langage graphique d’anthropologie toujours en chantier, et d’autre part parce que son ton est satyrique, comme mon style à l’époque, qui subjective l’analyse. Nous ne sommes pas encore au pays de l’ethnographie. La fabrique du « lexique »: espace et personnage aura demandé des années de travail : la simplicité complexe de la ligne claire… Néanmoins, ces planches constituent un témoignage assez sociologique, et politique de l’intérieur d’un espace de résistance, comme une ébauche du Quai Q, et de « Welcome in Belgium »… Certaines voix off sont extraites de « A nos amis », d’un certain collectif invisible … parfois détournées par esprit canaille, j’espère avec esprit. Trève ce bavardage …
Nous sommes en 2015. Lors des réunions du collectif du Kelbeek Libre, en effet, lorsque qu’un avion passe au dessus de la cabane, la parole devient inaudible. Le silence est obligatoire, ce qui rythme la parole d’une façon inattendue au début. Au début, ce sont surtout les voisins qui parlent. Les projets sont d’occuper, de planter, de trouver la petite bête (protégée) qui pourrait changer le sort de leur parc. Le collectif est composé d’habitants du quartier et d’activistes, mais s’est connecté au « rhizome écologique »d’occupation terrestre, dont la ZAD est un symbole, comme Camille, la/le-s zadiste-s.

Un dimanche à la ZAD, slogan : Des chicons, pas des prisons ! Source : pourpress
Donc … Comme la bande dessinée est une analyse du lieu plus qu’une dfedscription, je vous propose un article rédigé pour inter-environnement Bruxelles, dont voici le début ci-dessous et la version entière sur le site de Inter-environnement Bruxelles ici et ici. Que de choix !
De A à ZAD : histoire du Keelbeek Libre
Fleur bleue qui aurait poussé entre deux fissures de post-modernité, la friche du Keelbeek, à la périphérie de Bruxelles, est digne d’un décor de film d’anticipation. Entourée de routes et de rails, surplombée par le ring, voisine de l’OTAN et de l’aéroport de Zaventem, cette zone verte abrite pourtant une biodiversité exceptionnelle, tant pour la faune que pour la flore. Deux cent espèces végétales, dont certaines très rares, y ont été recensées et de nombreux oiseaux nicheurs et migrateurs font arrêt dans cet espace… Haren est aussi l’un des derniers paysages ruraux en Région Bruxelloise, et le Keelbeek est l’une des dernières zones où il y a encore des terres agricoles cultivables. C’est encore, depuis toujours, une zone de promenade, de jeux et de rencontres pour les habitant(e)s de ce quartier. Quand l’État belge projette d’y construire une maxi-prison, c’est le quartier qui se rebiffe, bientôt rejoint par des associations [1] et autres amoureux de la nature. Car le temps presse. La procédure de construction de la maxi-prison avance très rapidement. La demande de classement a été rejetée par le Gouvernement Régional le 2 octobre 2014. Il est prévu que les travaux commencent au printemps 2015 et que la prison soit ouverte en 2017. Déjà, ce début mars, sans crier gare, les bulldozers ont débarqué et déboisé une parcelle du Keelbeek. Les habitant(e)s et associations amies du Keelbeek Libre restent pacifiques, mais ne désarment pas. (Camille aka Mercedes, 2015)
La ZAD, Zone A Défendre est un détournement taquin de « Zone d’Aménagement Différé »
La raison théorique de ma présence à Haren : la prison. La raison pratique de ma présence à Haren : le potager. L’usage de l’espace vert (espace de la future nouvelle méga-prison) est habituellement d’être traversé par des humains, promeneurs, voisins, solidaires, et d’être habité par des non humains. Une petite colonie de consoude près des arbres, des oiseaux et des lapins,.. Autour du feu, le soir, les « touristes » (sympathisants, curieux, journalistes, environnementaliste, …) découvrent de petits secrets du parc, les lieux où l’on s’embrasse, le bunker où l’on rime, le chemin des chiens, le raccourci, les mûres, … Une quantité d’usages et de souvenirs et d’anecdotes… bientôt traces et souvenirs… sauf si … le collectif et la société civile parviennent à arrêter les projet.

La ZAD de Haren avait ceci de particulier de brasser sur un très petit espace, très peu accueillant, très bruyant, très exposé, des acteurs très très différents : sans abri belges, jeunes anarchistes viristes, migrants d’Orient, jeunes anarchistes féministes, voisins réacs, gauchistes, artistes, … Bref, Bruxelles ! Et allons-z-y pour une sorte d’ethnographie d’une petite ZAD bruxelloise, et de ses militants passés à la moulinette des sciences humaines…

Ma traduction du système social de cet espace en bulles … L’idée est de traduire, à l’aide de forme géométrique et d’un maximum de symboles, les conditions de vie à Haren, que je découvre sur la ZAD. Par exemple, les petits points rouges et noirs pour figurer la mixité sociale, les petits points noirs pour représenter les classes moyennes et basse ; le « bloc », la boîte noire dans le tunnel symbolise le tri gentrificatoire. La nuisance sonore est la pire pollution du lieu. Le bruit est vraiment dérangeant : les avions qui décollent de Zaventem voisin, le ring, les voies ferrées, Haren est une commune encerclée par des flux de voitures, de trains et d’avions, très pauvre en espaces verts et donc surchargée de bruits (et de pollution). Cette zone de verdure est protégée avant tout par les habitants qui se sont regroupés en collectif et qui ont lancé un appel pour une occupation : une ZAD. C’est suite à cet appel que je propose mes services.
La ZAD est d’utilité publique ; elle est un lieu de fabrique. Elle m’a appris énormément de choses, que je peux exporter dans d’autres espaces (Camille).
- Fabriquer des toilettes sèches en chaîne avec des palettes
- Organiser un concert géant ;
- Fabriquer une cabane dans les arbres et découvrir que ma scie communique avec les oiseaux. Tomber amoureuse des oiseaux ;
- Repérer, comme d’habitude hélas, des comportements toxiques de la matrice patriarcapitaliste ; Certains comportements admis alors seraient probablement bannis aujourd’hui ; #meetoo effect. En 2015-16, les virilistes, aussi à cause des conditions de vie très dures, sont les seuls à habiter l’espace, faisant régner une atmosphères qui découragent la majorité des volontaires, et la totalité des femmes.

Cette bande dessinée… L’idée était donc de traduire les dynamiques de la ZAD, mais très vite, des dissensions sont apparues. Le groupe actif était très hétérogène, et les réunions, fastidieuses et parfois tendues. On observe sur le schéma, au fil des mois, des défections constantes : entrées => sortie. Au fil du temps, les violences s’aggravent, qui témoignent des mêmes violences que dans la société en marge : racistes, sexistes, classiste, et in fine, très normatif.
Décrire les fonctionnements internes dans un collectif ZAD, -discussions, modes des prises de décision, partage des activités, … -entraîne inévitablement de mettre en lumière des rapports de forces, des luttes de pouvoir, des tiraillements d’egos, et c’est la redécouverte aussi toujours inattendue et décevante de biais cognitifs qui entraînent racisme, sexisme, autoritarisme, mise en danger, justice expéditive, expulsions, sabotage,… Bref, gros gros bordel !
Et le dimanche ? Les opposants à la prison de Haren se mobilisent et plantent des patates.

Lecture anthropologique genrée ? Le survivalisme en vogue chez de jeunes gens « de gauche », « anarchiste », « anti-fasciste » a tendance à fleurter avec le survivalisme d’extrême-droite dans ses habitus, qui reflètent une matrice patriarcale… pesante sur un espace anticapitaliste anti-sexiste …
Les conditions de vie très frugales exigent une bonne santé physique et des restrictions en matière d’hygiène, et de privacité. Une ZAD à défendre par ailleurs porte en elle la germe de l’affrontement, normalement. Ces deux traits de la ZAD, entre autres, attire des virilistes, et donc le lieu devient (aussi) un espace de lutte (pour reprendre des termes d’intersectionnalité) de genre (ZAD de NDL, par exemple), de classe et de race (ZAD de Haren).
Matrice oblige, la zone était habitée par 99% d’hommes, belge ou français de souche, jeune, homme, de 1% de non-blanc (1 belge d’origine indienne, puis un autre d’origine marocaine) ; de quelques migrants. Le genre masculin conservant des pratiques hiérarchisantes à l’encontre des minorités, de genre, et de « race » avec donc une philosophie sous-jacente d’un homme-loup-pour-l’homme. Pour être complète sur le sujet, ce gauchisme blanc, décrite par ailleurs dans la fragilité blanche dans le Racisme anti Noir. Entre mépris et condescendance, était aussi sur cette zone à défendre un féminisme blanc. Ces observations sont valables évidemment pour la seule période de fréquentation du terrain, que j’ai quitté avant terme.
La violence du déni, et ses répercussions sur l’avenir du collectif et du projet initial : lutter contre une prison ne résolvait pas la question des prisons psychiques. Sans compter les personnes en très grande fragilité psychologique et donc particulièrement vulnérables (femme, migrants sans abris, …). Sur les 6/8 mois où j’ai tenu sur la zone, j’ai assisté à trois expulsions manu militari et à une punition, au moins trois agressions de genre. « Sorcière » a été le surnom donné à une activiste… « Fille facile » une autre … Il est systématique ou presque, que la question du genre devienne un problème sur un « espace d’expérimentation ». Mais comment décrire ces scories sans poser un jugement ou tirer d’actes individuels un système ? Et bien évidemment, comment amener la question de la discrimination du genre, de classe ou de race sur un terrain de lutte qui tient les égalités pour acquises ? Ces conflits ont tendance à s’effacer face à la « Lutte ». Les victimes elles-mêmes peuvent tendre à considérer que l’agression est moins grave que la lutte, que ça va fotre le bordel. C’est ainsi que la ZAD ici décrite était sur le terrain de vie, quasiment toujours exclusivement masculine.
Cette masculinité est visible dans les tenues militaires, les poses viriles, la force très démonstrative, par ségrégation des femmes par ailleurs. « Laisse-moi faire » « ça ira plus vite si je le fais », « Attends, je te montre « . La violence vient évidemment avec la résistance => pallier de violence classique. Cf. Schéma.

Toujours des femmes agressées, toujours des hommes agresseurs. Sauf un jeune homme noir, expulsés par des blancs hommes et femmes, pourtant habituellement toujours à couteaux tirés … Entre les virilistes, jeunes et d’âge mur, et les féministes instruites et de classe bourgeoise, cette fois, exceptionnel, la décision fut prise à la majorité des deux genres… Ce constat devait m’engager plus en avant dans les Subaltern Studie’s… et dans un livre fondateur : Peau noire, masques blancs. Mais ceci est une autre histoire…





































































Laisser un commentaire