Abstract-Rudologie-Strasbourg-oct-25

ABTRACT 

Titre de la présentation : 

Réenchanter le monde grâce aux déchets anthropiques.  

Savoirs et hybridations cosmopolitiques sur l’île caribéenne de Colón 

Trois hommes coopèrent activement : un au sol qui fait passer un objet massif du petit camion qu’il donne à un collègue qui va le déposer dans la benne du camion blanc.

Mots clefs : • Colonie / Déchets / Hybride anthropocène / Cosmovisions •      

Deux camions, l’un plus grand (gauche, style benne industrielle), l’autre plus petit (droite, le même que sur la première photo ; utilitaire).

L’île de Colón, située dans l’archipel de Bocas del Toro au Panama, constitue un laboratoire privilégié des recompositions contemporaines entre environnement, pouvoir et marginalité. Confrontée à une intensification des dérèglements climatiques, à la désindustrialisation et à une pression touristique croissante, cette île de 61 km² subit une fragmentation accélérée de ses écosystèmes (notamment de la forêt primaire), une gentrification du littoral, et une dégradation généralisée des éléments de subsistance (eau, air, sol). Ces processus décrivent une histoire caribéenne façonnée par les logiques extractives, coloniales et racialisées ; le Plantationocène, une ère décrite par Malcom Ferdinand (2019) pour penser l’écopolitique depuis le monde caribéen

Symptôme de ces mutations anthropogéniques en cours, le déchet. Métallique, organique, plastique, puant ou invisible, il affecte les relations intercommunautaires autant qu’interspécifiques, questionne la frontière entre rebut, hybride et ressource (Douglas, 1966), met les tensions -affectives, socio-économiques, écologiques, …- au travail (Deleuze & Guattari, 1972). En suivant le déchet  comme Ana Tsing (2018)  le champignon Matsuké, j’interroge la manière dont les rejets contemporains deviennent des ingrédients et des catalyseurs d’existence.  

Cette recherche ethnographique adopte une approche inductive et phénoménologique, centrée sur les corps, les usages, gestes et récits liés aux déchets. Ces derniers sont envisagés comme des traceurs de logiques hégémoniques, mais aussi comme des vecteurs de cosmopolitiques alternatives (Stengers, 1997–2003). Un soin particulier est porté à la dimension poétique, performative et affective, dans une perspective située à l’interstice de mon vécu bicontinental. Cette posture engage à reconnaître les matériaux et les expériences sensibles comme sources légitimes de savoir, tout en déplaçant les frontières entre objet, sujet et environnement.

Dans un système local de gestion dominé par des paradigmes capitalistes et des stéréotypes coloniaux persistants (Croteau, 2024), les pratiques informelles de collecte, de détournement ou de revalorisation des déchets rendent visibles des stratégies marronnes et des conceptions du monde qui se rencontrent (Liboiron, 2024). Elles constituent des formes de résistance et des expressions d’une écologie de subsistance ancrée dans un flux global. Elles invitent à penser des modèles de cohabitation inter-espèces qui émergent à partir de ce qui est rejeté.  

Artiste de Bocas, inconnu, sur la piste cyclable entre l’hôpital et la plage « R »

Selon une approche articulant art, écologie et politique, cette étude vise à interroger les méthodes et les outils des sciences sociales (Boulbina, 2020). Elle mobilise des dispositifs collaboratifs in situ (ateliers, récits situés) et numériques (site web) afin de construire des ponts entre savoirs hétérogènes, au-delà des barrières ethnosociales et disciplinaires. En valorisant les pratiques locales d’adaptation aux bouleversements climatiques et les subjectivités écologiques discrètes, cette ethnographie du rebut entend explorer les tensions, les asymétries et les alternatives qui s’y jouent, à partir des marges. En ce sens, cette recherche propose non seulement une ethnographie du rebut, mais une mise en perspective des régimes de savoir qui décident de ce qui compte comme “propre”, “utile” ou “valable”.  

En définitive, cette ethnographie du rebut entend proposer une lecture décentrée du Plantationocène, attentive aux subjectivités en tension, aux écologies situées et aux formes de cohabitation inter-espèces qui se tissent, y compris à partir de ce qui, habituellement, finit à la marge.

 Ressources 

Ferdinand, M., (2019), Une écologie décoloniale. Penser l’écopolitique depuis le monde caribéen. Paris, Seuil, Coll. 

« Anthropocène » 

Douglas, M., (1966), Purety and Danger. An analysis of Concepts of Pollution and Taboo. Londres, Routledge 

Deleuze & Guattari, (1972),  L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie 1. Paris, Les éditions de Minuit 

Tsing, A., (2018), Le Champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme (trad. P. 

Pignarre). Paris, La Découverte 

Stengers, I., (1997-2003). Cosmopolitiques I-VII. Paris, La découverte, Les Empêcheurs de tourner en rond 

Arturo E., (2018), Sentir-penser avec la Terre . L’écologie au-delà de l’Occident (Trad. S. Louërat & P. Rush). Dijon, Les Éditions du Croquant 

Harraway, D.J., (2020), Vivre avec le trouble (trad. N. Haeringer). Paris, Les Éditions des Monde à Faire 

Croteau, L., (2024), Les initiatives locales pour une meilleure gestion des déchets à Bocas del Toro, Panama, Université du Québec , Montréal, Service des bibliothèques 

Liboiron, M., (2021). Pollution is colonialism. Durkham, Duke University Press 

Meziane, M., A. (2023), Au bord des mondes. Vers une anthropologie métaphysique. Bruxelles, Vues de l’Esprit Boulbina S.L., (2020), Le singe de Kafka & Autres propos sur la colonie. Les Presses du réel, Al Dante, Essai