île Poisson

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Martes, Junio24

Le poisson inquiet

Free Workshop


À Colón, c’est lui qu’on évoque quand on parle d’eau, sans parler d’eau. Lui, que les familles pêchent moins. « Le poisson », comme réponse à la lutte, lors des entretiens sur les raisons du mouvement de blocage des routes du district de Bocas del Toro, en octobre 2023, et en mai 2025. Lui, dont on craint désormais les entrailles — remplies, peut-être, des produits chimiques déversés par la plus grande mine de cuivre d’Amérique latine. Lui qui se fait trop rare dans la mer des Caraïbes, ou trop présent quand il est invasif comme le « leonfish »

Le poisson devient l’indice d’un monde trouble, d’un milieu devenu brouillé, et de l’effet traumatique de ce bouleversement. on compose avec les déchets, comment compose-t-on avec l’eau qui devient une pollution, un risque sanitaire, un vide dans l’assiette ? Avec « le poisson », comme explication à la lutte ; « la santé des enfants ». passé, présent, futur dans l’oeil du cyclone.

Ce n’est plus un aliment, plus tout à fait une ressource. Il est symptôme. Métonymie d’un environnement où les caniveaux rejoignent la mer sans transition, par un cylindre de béton, enfoui sous le béton qui enserre l’île en ses parties les plus fragiles, où la baignade est parfois remplacée par l’inquiétude. L’algue flotte sur l’eau comme un spectre : on craint sa venue. Terrassée par l’eau, elle se dissout dans le liquide salé, brouille l’élément marins, les poissons disparaissent.

À travers eux, absents, le déchet prend corps. Non plus seulement objet visible, le rebut devient atmosphérique, incorporé, suspecté. Le poisson ne meurt pas toujours du plastique : il vit avec. Et cela dérange plus profondément. Comme si la pollution ne tuait pas, mais empêchait de croire encore à une pureté possible : cette pensée est vertigineuse. Le poisson est le symptôme de l’angoisse du devenir du milieu pollué. Notre place.

Alors, il devient narrateur involontaire d’une île où l’humain et le non-humain cohabitent dans une ambiance altérée. Le pirate bricoleur, les buttes de sable filtrantes, les tas de déchets collectifs… toutes ces pratiques visent à protéger l’eau. Et pourtant, c’est encore le poisson qui dit l’indicible, qui révèle l’angoisse existentielle, le dérèglement sensoriel, la perte de confiance dans ce qui circule entre les pores, les mailles, les mailles de chair et de filet.

Dans cette ethnographie, le poisson n’est pas objet d’étude. Il est témoin. Il est scène. Il est cri muet.

Loin des dénonciations attendues du capitalisme ou du désastre environnemental, c’est par ce silence visqueux, par cette présence animale, qu’émerge une autre lecture du monde : celle d’un vivant composite, inquiet, mais vivant quand même. Un vivant qui compose avec la souillure, avec l’ambiguïté, avec l’eau trouble — sans jamais cesser d’y nager.


Mariculture

Le poisson comme métonymie traumatique de l’eau