Histoire de fou

L’histoire de la folie est une mise en cage progressive qui accompagne l’extension de « la » raison cartésienne, européenne, qui est surtout la raison du plus fort. Et paradoxalement, tandis que la folie clinique, mentale et physique, -l’anormalité-, disparaissait des regards, sauf mise en scène, l’agressivité maligne, folie aussi assassine que suicidaire, allait bientôt trahir la Terre, avec la bombe atomique. Mais déjà, avec l’extermination systématique des monstres (humains et non humains, faune, flore, sous-sols, esprits, créatures monstrueuses…, vers toujours davantage de désenchantement.

VI

Nous savons que la police des fous à l’époque moderne, et l’enfermement des fous, se situent dans un cadre et dans un contexte précis. La police et l’enfermement des aliénés s’inscrit en effet, dans le cadre de la politique d’un pouvoir royal de plus en plus centralisé, qui cherchait à exercer un contrôle de plus en plus rigoureux sur l’ensemble de la société, y compris sur ses marginaux, ses fous, ses délinquants et ses déviants. L’instrument tout désigné pour mettre cette politique en pratique était ce qu’on a appelé le «Grand renfermement » mis en place par Louis XIV et son infatigable ministre Colbert.

Source : Fayçal El Ghoul, p. 175-187, in https://doi.org/10.4000/cdlm.796

Forgé en l’Europe, ce procédé d’enfermement et d’éloignement des hors-normes à si grande échelle s’exporte à toute vitesse vers la première grande colonie de peuplement massif, les « Amériques » du nord. De l’Europe, le sort des marginaux (fou, sauvage, femme, orphelin, délinquant, déviant, …) devient un système organisé, structuré, fermé. Nous nous y référerons lorsque nous traitons de la biopolitique, de la soumission à l’autorité, des résiliences et résistances. Il nous semble que le système de catégorisation occidental est toxique au mutualisme. Pour justifier cette domination sur les êtres et la Terre ; la création de distinctions au sein des cultures ; culture, nature, religion, mariage, intériorité, extériorité… qui permettent de classer (définir et historiquement hiérarchiser) des entités, Humaines et non Humaines, Visibles et Invisibles, existant, dans un savoir localisé (Europe) mais à prétention universelle.

Sur la toile, celle de nos cinémas d’antan, il est un gros lézard géant né en 1957 des effets de la bombe atomique, un zombie consumériste et contagieux, une nature sauvage et perverse, ou dévastée par une catastrophe anthropocène avant de devenir la beauté fatale de Black Mirror… En effet, le Monstre aujourd’hui semble de plus en plus dans la norme, sa monstruosité est attractive et perverse, invisible, car pourvue d’un haut capitale de beauté (Beauty privilege). Comme un virus d’une ère pathocène? C’était déjà le propos de Tod Browning ; les monstres ne sont pas ceux qu’on pense de prime abord. Désormais, le voisin, la coloc, la baby-sitter, le père, la covid, le prof, le chirurgien… Tous des monstres !

La norme elle-même est-t-elle devenue monstrueuse ?

fou … aliéné … possédé … traumatisé, colonisé jusque dans les entrailles de la psyché.

En 1952, Frantz Fanon publie « Peau noire masques blancs » dans lequel il analyse, d’un point de vue psychologique, ce que le colonialisme a laissé en héritage à l’humanité. Fanon opère des va-et-vient entre d’une part les expériences qu’il a recueillies durant sa propre existence d’étudiant et de médecin psychiatre, ainsi que dans les témoignages littéraires contemporains.

Ce que nous voulons, c’est aider le Noir à se libérer de l’arsenal complexité qui a germé au sein de la situation coloniale. Fanon, 1952, Éd. du Seuil, p. 24

Sa thèse est que la colonisation a créé une névrose collective dont il faut se débarrasser. Il en décrit toutes les stratifications pour permettre une prise de conscience du Noir, atteint du syndrome du sentiment d’infériorité qui a pénétré les consciences. Il débute son ouvrage avec une phrase d’Aimé Césaire : « Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. ».

Les expériences traumatiques peuvent susciter des transformations collectives : une perte de confiance dans les autres, la régression des moeurs et des valeurs, une perte de culture et des relations brisées. Si un traumatisme individuel endommage les tissus de l’esprit, un traumatisme collectif endommage le tissu social . Comme les individus, les groupes peuvent perdre leur sentiment authentique d’identité face aux traumatismes et à l’oppression (Jabr, page 17).

Badr Dhalan, avant et après la torture dans les prisons israéliennes.

Folie et colonialisme. Comment la colonialité crée la folie. Frantz Fanon met en place sur son lieu de travail un espace géographique indigène pour ses patients indigènes (algériens). La fabrique coloniale a fabriqué des figures subalternes symptomatiques, comme le « nxgre de maison » décrit par Malcolm X.

Arthropologie : Sortir de la folie, par l’identité délivrée de la névrose coloniale. Sorte de parades mises en scène et expérimentées par des sauvages post-anthropocènes.

Ressources :

identité-s et absences

inconscient collectif

ethno-psychiatrie

Tobie Natha, sur son blog