Sauvage !
Figure majeure en anthropologie, le Sauvage, c’est l’Autre, l’Altérité, celui qui n’est pas comme nous, qui habite un autre pays, hors de nos frontières. Au fil des époques et sociétés, de leurs cosmogonies et cosmologies, le Sauvage est « animal », « créature divine », « esclavagisé », objet de désir et de répulsion. Le Sauvage aujourd’hui, « danger public », est l’immigré, le migrant, l’étranger, celui qui refuse de s’intégrer, de s’assimiler,… « De devenir comme nous ». De faire « comme tout le monde ». DeHors le monde civilisé, le sauvage est à éduquer , à expulser, ou à exterminer.

d’ »Amérique du Nord »

Le Sauvage non-humain
Le Sauvage est tantôt espace, animal, humain, figure mythique, … Il se métamorphose au gré des civilisations et des époques. Mais tout de même, il est une figure assez curieusement universelle. Il est même surprenant de constater combien certaines figures monstrueuses sont terriennes : les dragons, les humains-animaux (homme-loup, femme-poisson, femme-racine, …) se retrouvent dans un grand nombre de récits, mythes et cosmologies sur Terre.





En Europe, un dragon peut prendre l’apparence soit d’un lézard, soit d’un serpent géant. Ci-dessus des dragons de Pologne médiévale ; Croatie, « Cadmos et le dragon » sur k’Amphore à figures noires d’Eubée, v. 560-550 av. J.-C. ; Dragon qui ornait les murs de la porte d’Ishtar et de la voie processionnelle de l’antique Babylone, actuellement près de Bagdad en Iraq. Dragon millénaire en Chine, …
Source : https://www.connaissancedesarts.com/monuments-patrimoine/archeologie/en-pologne-un-detectoriste-decouvre-par-hasard-un-mysterieux-talisman-representant-un-dragon-11190266/ ; https://fr.123rf.com/photo_5738010_mosaïque-de-dragon-antique-dans-le-site-archéologique-de-krk-croatie.html ; https://www.researchgate.net/figure/Cadmos-et-le-dragon-Amphore-a-figures-noires-dEubee-v-560-550-av-J-C-Musee-du_fig1_271768023 ; https://www.istanbul-photos.com/fatih/gulhane/istanbul/dragon-babylone.php ; https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1125/le-dragon-en-chine-antique/
Le Sauvage animal est-t-il un pléonasme ? => page sur l’anthropologie inter-espèces en construction
Le Sauvage humain
Son étymologie (« qui vit dans les bois », mots dérivé de silva, forêt en latin classique) nomme celui qui vit dans la nature, hors civilisation, et ce terme ne dévoile pas notre ambiguïté à son égard (attirance/répulsion). L’histoire de la figure du Sauvage est millénaire. Au-delà ? Partout ?
Je détaille l’histoire du Sauvage humain ici. Avec la colonisation occidentale de la Terre, par le capitalisme et ses pratiques (colonisation, extractivisme, hiérarchie et réification des êtres vivants, -humain, faune et flore-, et des matières naturelles, le « Sauvage » est esclavagisé ou soumis au régime catégoriel colonial. Avec la colonisation numérique du monde, entre autres causes fondamentales, le Sauvage s’émancipe. La photographie ci-dessous, confinée longtemps dans des ouvrages ou des cartons d’archives peu accessibles, scannée, s’est répandue sur les réseaux sociaux, et a permis au grand public de découvrir les « Zoos humains ». Se rendre compte que nos proches aïeux ont peut-être rencontré un « étranger », spécimen humain dans un tel cadre ?!

Couvrez ce passé que je ne saurais voir
Se libérer de ses schèmes

Il existe encore, en Belgique, ce « Sauvage », grimé comme un Noir de caricature coloniale, tenu enchaîné aux mains d’un marin, sur un char qui est un »navire ancien », avec ses chaînes, son gros anneau dans la narine, ses plumes, il s’amuse à faire peur aux enfants, comme son cousin « Père Fouettard ». Le rôle de ces personnages (les blancs sont marins et dompteur de sauvage) est trop peu analysé : qu’est-ce qui se fabrique dans la tête de l’enfant terrorisé par ce monstre ? Le personnage du « Sauvage » de la ducasse d’Ath a provoqué des remous dans la société belge, comme son cousin « Père Fouettard », quand sa fonction raciste (inoculer des sentiments négatifs -tel peur ; méfiance, sentiment de supériorité- a été dénoncée. Les commentaires sur les réseaux sociaux, miroir des esprits, à ce propos (décolonisation des esprits) témoignent de la névrose, fanonienne cet attachement complexe à une pratique coloniale. Le rôle des sciences humaines, dont l’anthropologie et la psychologie, est de déconstruire, de se libérer de ses schèmes (cf. Kant).
« Espèce de Sauvage »
Cet article, à partir d’exemples vécus et lus sur les réseaux sociaux, raconte l’histoire coloniale de ce Sauvage, et permet de comprendre le rôle de l’anthropologue dans les processus de changement de mentalité systémique. L’anthropologie tente à saisir le phénomène collectif, sociétal passé, qui sous-tend la coutume actuelle, par exemple l’implantation du racisme en Europe au XIXe siècle pour justifier la colonisation. Quelles ont été les méthodes du pouvoir pour faire en sorte qu’un peuple adopte un sentiment de supériorité vis-à-vis d’autres populations afin de les déshumaniser et les soumettre avec bonne conscience?
Le Sauvage a dans la société, comme le Fou, une fonction. Une tâche de l’anthropologue aujourd’hui est de saisir cette fonction en lien avec la désoccidentalisation rapide de ce début du XXIe siècle. Car, le Sauvage s’émancipe et retourne le stigmate. Qui dérègle le climat? Arrache à la Terre ses minerais, son eau, son pétrole ? Vend l’air? Passé et présent se confondent, se réfléchissent au gré des « noeuds crispatoires » : Les 500 ans de la « découverte des Amériques » qui a donné lieu à des déboulonnages de statues de figures coloniales.
Retournement du stigmate :

Déboulonnage de Christophe Colomb à Baltimore. Source :
Deux moments visibles de désoccidentalisation : pandémie du COVID-19 et génocide palestinien.
2020. Durant la pandémie du COVID-19, l’abandon et l’enfermement des aïeux en Occident a choqué une partie du monde. Sur le net, le scandale qu’ont provoqué les propos sur les avantages à tester un vaccin sur les Africains, sans oublier la prétention et la mauvaise gestion de la pandémie en Europe.
2023. Le massacre à Gaza à partir d’octobre 2023, perpétré par un pays « démocratique » protégé par l’Occident, contre l’avis de la majorité des populations et des pays du Sud Global, dont le Nicaragua. Hypocrisie est souvent entendu. Comme « deux poids deux mesures ».
L’Occident …Toujours prompte à donner des leçons (Alain Foka)
Nous, le « Sud Global »
Novembre 2023. Les occidentaux sont des sauvages, des monstres, répète à Masaya ( Nicaragua) Carlos, vieux révolutionnaire sandiniste octogénaire, face aux images du massacre en Palestine relayé par le journal parlé de la chaîne vénézuélienne.
Ici, génocide est un bandeau fixe sur l’écran et les images sont celles des bombardements et des victimes. Au Sud, le massacre à Gaza est montré sur les écrans « légitimes » télévisés. En Europe, les journaux parlés évoquent peu les massacres, évitent les images atroces de Gaza, de nommer les responsables. Les images des écrans télévisés latino-américains sont seulement disponibles sur les réseaux sociaux en Occident. Le fossé entre « instruction numérique » et « instruction médiatique » se creuse, de même que l’écart entre les populations et les dirigeants, toutes élites confondues. Le savoir scientifique, aussi, en prend un coup : les intellectuels ont peu pris position, en général, pour la Palestine. Le « comment » cela aura été possible est le silence. Il faudra sans doute bientôt penser/panser le pourquoi.
Deux traces visibles de désoccidentalisation :
- Le retrait des troupes françaises en Afrique de l’Ouest, conséquence de mouvements populaires de la jeunesse et d’un regain d’activisme panafricanisme « 2.0. » anti-impérialistes ;
- L’art qui traduit les états d’âmes et concepts. Le groupe de musique mexicain Los Cogelones illustre parfaitement cette décolonisation psychique spirituelle dans un monde post-libéral ;
Une trace Invisible source de désoccidentalisation :
Dans « A sonde quieres llegar? » « Où veux-tu aller? », Los Cogelones nous indiquent une voie de secours. Dans un décors anthropocène (pollution, déchets, grues, gravats,…), la bande va quelque part. D’un pas décidé, elle suit des rails, elle trace sa route. Traverse une buse de béton, sorte de passage initiatique pour atteindre l’identité véritable. Les esprits apparaissent, les masquent tombent. La fête peut commencer. Les déchets sont toujours là. Le décors anthropocène n’a pas disparu avec la présence des dieux aztèques ; la danse a lieu dans le décor industriel qui ne compte pas. Seul importe le vivre-ensemble. Le Buen Vivir. Ubuntu ?
raison versus superstition
(…) comment, en faisant se réaliser le ciel sur la terre, les pouvoirs modernes se sont portés sous la terre, bouleversant ainsi notre planète et les écosystèmes. Part cruciale du « désenchantement du monde » caractéristique du XIXe siècle, la négation des réalisations métaphysiques par le développement des techno sciences va de pair avec cette volonté de réaliser le salut sur terre à travers l’accumulation des richesses (Meziane, 2023, 35).

