Pathocène

Le hautement du monde. Zoonoses et Pathogène.

Gil Bartholeyns

Gil Bartholeyns est historien au département des humanités de l’université de Lille où il a occupé une chaire du CRSS. Il est l’auteur de Le hautement du monde. Zoonoses et Pathogène. Certains extraits de l’ouvrage sont disponibles ci-dessous.

  • Faut-il réintroduire des barrières interspécifiques ?
  • « Chacun selon ses espèces » … La catégorie, une invention divine?
  • Pathocène

En juin 2020, le public apprend par voie de presse que plus de dix milles visons d’élevage vont être gazés aux Pays-Bas, suite au décès et à la contamination e certains d’entre eux (Bartholeyns, p.16)

Ceux qui reviennent nous hanter, en Pathogène, ce sont les milliards d’animaux anéantis, année après année, l’immense peuple qui peut faire dire en effet qu’ »écrire, c’est toujours écrire pour les animaux, c’est-à-dire, pas à leur intentions mais à leur place, libérer la vie des prisons que l’homme » (Deleuze, 1995) a bâti sans doute contre lui-même Bartholeyns, p.17).

Des pandémies aux super incendies, le dénominateur commun du hautement est l’effraction continue des habitats par le brassage brutal des espèces. En traitant les non-humains comme des choses et les territoires comme des ressources, nous avons créé les conditions de notre propre fin. Alors, Comment sortir d’une très longue histoire ?

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Le droit de vie et d’habitat pour les non-humains semble entrer dans la « raison environnementale ».

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Il faut au contraire aller du particulier au particulier sans passer par le général (p.19).

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Sans doute aussi (…)

Avancer par redondance et former des lieux communs, des motifs : la maison, la terrestrialisation, les espaces sans compagnie, le délire biotique, l’évènement pandémique, la nature et l’historicité du Pathogène (idem, page 19).

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Où s’arrête une maison ? demande le Socrate de Xénophon dans l’Economique (idem, page 21).

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Nous sommes dehors. Nous n’entourons pas la Terre de nos soins? Nos foyers seront anéantis. Chaque culture possède probablement son Déluge comme frousse circonstancielle ou comme horizon.

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  1. Barrières d’espèces, barrières d’espace

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(…) c’est la raison sanitaire -l’estomac, dira Sinclair- qui l’emporta sur le coeur.

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La chaîne de production puis de « démontage » des êtres vivants, dont Henry Ford s’inspira pour mettre au point sa ligne de montage automobile, est de bout en bout une chaîne de rendement où les animaux ont été tournés en machines thermodynamiques susceptibles d’optimisation jusqu’à une limite fixée en terme de bombe sanitaire (page 23)

Un monde tyrannisé par la biosécurité – c’est dire le danger supposé par les autorités.

« Soit le remède par le mal »

Les gestes barrières, ces comportements faciles et difficiles à observer envers soi et autrui pour réduire les risques de contamination, sont entrés dans nos sociabilité ordinaires par le barbarisme synthétique de la « distanciation sociale » dont la page Wikipédia est créée en avril 2017 en anglais et le 13 mars 2020 en français (page 26).

« Croquis ». Si le confinement a subitement gelé la société (belge), elle aura pu par la même occasion se souvenir, après une dizaine de jours, que certaines personnes ne pouvaient se confiner : les sans abris, belges, non belges (résidents ou en migration). Distanciation sociale par les coudes, les genoux, les pieds, l’épaule. Souvenirs d’une ethnographie bruxelloise et soudanaise ; extraits.

De l’Etat au « déchet humain », avec la police. Je décris d’ailleurs ailleurs le comportement assez insensé des forces de l’ordre par manque d’ordre pensé, au sommet de l’Etat. Dans les environs de la Gare du Nord, à Bruxelles. Les sans abris furent gazés, dispersés, interdits de s’asseoir, avant que finalement, la chasse cesse, et d’autres solutions, mises en place. Comme la réquisition de bâtiments, et le laisser-vivre sur le quai « K », ce qui permit l’occupation du lieu, parc, allée, préau, durant toute le confinement.

De citoyen à citoyen, sans l’Etat. J’ai pu observer que les soutiens aux réfugiés vivant dans le parc du quai « K » ont été soutenus dès le 3e jours du confinement, et ce quotidiennement. Cependant, j’ai pu remarquer que sitôt le réseau mis en place, et d’autres cuisines solidaires citoyennes à nouveau en activité dans le parc Maximilien, de nouvelles expulsions par les forces de l’ordre ont eu lieu, comme si le besoin de contrôle du pouvoir était trop fort, qu’une organisation horizontale citoyenne forte lui semblait dangereuse.

La crise profiterait aux multinationales (page 27) … logique de prédation du capitalisme … bio politique des gouvernements => neutralisation des petites et moyennes entreprises.

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(R)égime anthropocénique -celui des rationalités néolibérale, capitalistes extractiviste, impérialiste, égoïste et spéciale, globalisées par l’Histoire à partir des rivages du Vieux Continent (Bartheleyns, page 27).

La traversée des écosystèmes, leur remuement incessant ont ouvert la voie à des invisibles qui, inoffensifs pour leur hôte naturels, peuvent devenir hautement pathogènes pour l’espèce humaine. Tous les « mélanges » ont eu lieu et pourtant, s’il y a bien une chose que la culture occidentale craint et et hait historiquement, à travers son soubassement judéo-chrétien le plus éhonté, c’est le mélange. Elle lui a donné le nom d’impureté et, en son nom, elle a mis a bas des hommes et des femmes animalités et méprisés selon une logique verticale qui réserve au bétail le sort qu’on lui connaît, Secundum species suas , « selon leurs espèces ». L’expression revient de nombreuses fois dans le récit biblique des origines composé huit à sept siècles avant l’ère commune, et chaque épisode qui met en péril l’humanité est une transgression d’ordre spécifique. (p.28)

(…)

C’est ce que nous avons appelé le drame des catégories (Bartoleyns, Dittmar & Jolivet, 2008). Le maintien des catégories est posé en constat cosmologique. Sa perturbation est l’état du monde après la chute, le seul monde qu’ait jamais connu l’humanité. Logiquement, l’hybridation, en particulier dans l’ordre du vivant, est un tabou ontologique dont il n’est pas téméraire de penser qu’il fait sentir ses effets jusqu’à aujourd’hui. (page 29)