La souillure est le produit d’une transgression de frontières (Douglas, 1971)


Chapitre sur l’hybridation (chapitre 3 – « L’anomalie ») de Marie Douglas :Pour réfléchir cette question dans l’espace précis de l’île de Colon,
Thème central :
Ce chapitre traite de ce qui est perçu comme anormal, hors normes, ou ambivalent dans les classifications symboliques – c’est-à-dire, en grande partie, les hybrides. Mary Douglas montre que ce qui défie les catégories établies tend à susciter du rejet, du dégoût ou du sacré, selon les contextes.
Idée clé : « L’anomalie comme menace à l’ordre »
Douglas explique que chaque culture a un système de classement du monde – des catégories claires : pur/impur, humain/animal, vivant/mort, homme/femme, etc.
Hypothèse : Dans une culture qui se caractérise par le métissage et les multi-identités, comme sur Colon, L’hybride est-il vraiment une anomalie ?
L’hybride, qui n’entre ni complètement dans une catégorie ni dans l’autre, devient menaçant, tabou, ou parfois sacré.
> Exemple biblique : Le Lévitique interdit les animaux qui ne rentrent pas dans les catégories typiques (ex. : ceux qui ruminent mais n’ont pas les sabots fendus). Ces animaux hybrides sont jugés « impurs ».
Pourquoi l’hybridation dérange-t-elle ? Comment et finalement, est-ce que l’hybridation dérange-t-elle vraiment ? Cas des Caraïbes…
Parce qu’elle perturbe la cohérence symbolique. Elle remet en cause les fondements d’un ordre culturel. Comment se manifeste-t-elle ?
Douglas ne dit pas que les hybrides sont objectivement dangereux. Elle dit que, dans un système culturel donné, ce qui ne correspond pas à l’ordre établi produit une « pollution symbolique« .
L’hybride, à la fois répulsif et fascinant => ambiguïté +
Dans certaines cultures, l’hybride est sacralisé (ex. : les chamanes, les figures mythiques mi-homme mi-animal).
Dans d’autres, il est rejeté comme impur (ex. : les règles alimentaires ou sexuelles, les personnes inter-sexe).
Deux réactions opposées à l’anomalie :
Exclusion : (mise à l’écart, interdit) => sort du déchet colonial
Exaltation : (divinisation, mysticisme) => sort du déchet décolonial
> Douglas fait ainsi le lien entre impureté, sacré, et pouvoir symbolique.
Exemples analysés :
Les animaux hybrides** (ex. : sirènes, centaures, chimères) : ils dérangent car ils brouillent les frontières naturelles.
=>Les monstres mythologiques** : souvent porteurs d’un message symbolique, ils incarnent une peur sociale.
=> Les personnes intersexes ou les figures androgynes : dans certaines cultures, vues comme perturbatrices ou puissantes, car elles défient la binarité sexuelle.
Portée analytique du chapitre :
Douglas anticipe ici des réflexions contemporaines sur :
* les identités non binaires
* les migrations culturelles (métissages)
* les figures transgressives en art ou en politique
L’hybridation, dans cette lecture, est moins une erreur biologique qu’une crise symbolique.
=> Crise de ?
Exemple du Neumaticarbol :


L’arbre a grandi. La scène du pneu enfermé dans les racines d’un arbre sur l’île de Colón (Panama) offre un excellent support pour penser, à la lumière de Mary Douglas, l’idée d’hybridation comme crise symbolique, mais aussi comme recomposition inattendue des frontières du pur et de l’impur.
je le range pour l’instant, à ce stade de la réflexion, dans le déchet post-colonial => étant versus dynamique décoloniale
étant & Aufsaug
Concept d’absorption/assimilation en philosophie, en lien avec le terme allemand Aufsaug :
Le terme allemand „Aufsaug“, dérivé de aufsaugen (« absorber, assimiler »), peut être compris en philosophie comme le processus par lequel l’esprit ou la conscience intègre des expériences, des savoirs ou des éléments culturels. Chez Heidegger (Sein und Zeit, 1927), l’être humain « absorbe » son environnement à travers son existence pratique et son être-au-monde, intégrant ainsi son milieu dans sa compréhension du monde. De manière similaire, Hegel (Phänomenologie des Geistes, 1807) montre comment la conscience absorbe les expériences et les transforme en connaissance. Dans une perspective plus culturelle, Walter Benjamin (L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1936) analyse comment les individus absorbent les images et les productions artistiques, ce qui façonne leur perception et leur sensibilité. Ainsi, Aufsaug peut être vu comme un processus d’intériorisation à la fois intellectuel, existentiel et culturel.
être étant
Références :
- Heidegger, M., Sein und Zeit, 1927.
- Hegel, G. W. F., Phänomenologie des Geistes, 1807.
- Benjamin, W., L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1936.
Lecture symbolique avec Mary Douglas
📌 1. Le pneu : un objet impur
Dans le système symbolique évoqué par Douglas :
- Le déchet est impur, non pas seulement parce qu’il est « sale », mais parce qu’il est hors de place.
- Le pneu, anciennement utile (sur un véhicule), devient, une fois abandonné, hors de sa fonction → un symbole de pollution, de rupture de l’ordre.
🛞 Le pneu est un déchet hybride : résidu technique et industriel, inséré dans un milieu organique.
📌 2. L’arbre : la nature supposée « pure » => Max Liboiron
L’arbre représente une forme de vie organique, stable, enracinée dans un imaginaire du naturel et du pur. Mais ici, cet arbre ne rejette pas le déchet : il l’englobe, l’intègre dans sa croissance. Résultat : l’arbre et le pneu ne sont plus clairement séparables. C’est l’hybridation d’un vivant et d’un artifice.
Une image de « crise symbolique »
Mary Douglas dirait que ce que cette scène révèle n’est pas seulement une pollution matérielle, mais une pollution symbolique :
➡️ Les catégories traditionnelles de « nature » et « culture », de « vivant » et de « déchet », sont brouillées.
La nature ne reste pas intacte, séparée, préservée — elle absorbe l’impur. Elle ne purifie pas, elle se modifie. Cf. Cyborg : Haraway
🧬 Hybridation non choisie, mais réelle
L’image du pneu pris dans l’arbre illustre un phénomène que Douglas n’aurait peut-être pas prévu : non pas une hybridation symboliquement rejetée, mais une hybridation inévitable, devenue la nouvelle norme.
Cette scène donne à voir :
- une mutation écologique (la cohabitation forcée entre technique et vivant)
- une ambivalence profonde : ni tout à fait pur, ni totalement impur
- une nouvelle forme d’ordre : un ordre hybride, post-naturel, post-catégoriel
📷 L’image comme métaphore écologique et anthropologique
- L’arbre qui digère le pneu : c’est la nature qui n’est plus extérieure à l’humain, mais altérée de l’intérieur par ses rebuts.
- Le pneu, qui devait polluer, devient substrat de vie, support de croissance.
- On ne sait plus si l’arbre a « vaincu » le pneu ou s’il s’est adapté à lui — tout comme les sociétés doivent désormais intégrer leurs déchets dans leur propre logique d’existence.
Conclusion : un symbole du monde contemporain
Cette image pourrait illustrer un prolongement contemporain de la pensée de Douglas :
Nous vivons désormais dans un monde impur, où les frontières du vivant et du fabriqué se fondent, non par accident, mais par nécessité historique et écologique. Nécessité, et accident, conséquence imprévue, alliance, …
Cette idée est évoquée par Max Liboiron. Le pur n’existe plus. Le pneu dans l’arbre est donc :
- une figure de l’hybridation concrète
- une trace de la crise symbolique des anciennes distinctions (nature/culture, pur/impur)
- mais aussi un signe d’un nouvel ordre, dans lequel l’impur devient un élément constitutif du vivant
Voici une synthèse augmentée de l’analyse anthropologique, désormais ancrée
Analyse d’image anthropologique : Le pneu et l’arbre, une hybridation entre pur et impur
Neumaticarbol
Description des images :
Nous sommes dans le jardin de l’école Nicaragua, à Bocas, en 2025.
Première photo : Un pneu usagé entoure la base d’un arbre. L’arbre a poussé au travers, verticalement, et dépasse largement le diamètre du pneu. Le caoutchouc est encore visible, mais déjà dominé par le vivant.
Deuxième photo : Un autre arbre (ou le même, à un stade ultérieur ?) a littéralement absorbé le pneu. Celui-ci est devenu presque invisible, enveloppé par les racines et l’écorce. Il subsiste une forme circulaire sombre, vestige de l’objet d’origine.

- Première photo : Un pneu usagé entoure la base d’un arbre. L’arbre a poussé au travers, verticalement, et dépasse largement le diamètre du pneu. Le caoutchouc est encore visible, mais déjà dominé par le vivant.
- Deuxième photo : Un autre arbre (ou le même, à un stade ultérieur ?) a littéralement absorbé le pneu. Celui-ci est devenu presque invisible, enveloppé par les racines et l’écorce. Il subsiste une forme circulaire sombre, vestige de l’objet d’origine.
Lecture anthropologique (avec Mary Douglas)
1. Le déchet devenu substrat
Le pneu, initialement objet utilitaire, puis déchet abandonné, devient ici un support de croissance.
Selon Mary Douglas, ce qui est impur est ce qui trouble l’ordre symbolique : un objet sans fonction, hors de sa place.
Mais ici, l’impur est réintégré dans l’ordre du vivant :
Le vivant digère le rebut, l’absorbe sans violence: comment s’opère cette digestion ? L’humain peut-il tuer l’hybride ? Qui regarde cet hybride ?
Touche-t-on au « un » de Plotin ?
=> Il est encore temps de séparer l’arbre et le pneu, et coupant le pneu à la manière d’un collier d’un chaton qui aurait trop vite grandi, et viendrait à s’étrangler.
2. Nature transformée : pas purifiée, mais hybridée
Contrairement à l’idée romantique d’une nature « pure » qui expulse la pollution, cette image montre une nature qui intègre l’altérité.
L’arbre ne rejette pas le pneu. Il l’enveloppe, le recouvre, le modifie sans le faire disparaître tout-à-fait … pour l’instant …
Douglas parle de « crise symbolique » quand les frontières sont brouillées.
Ici, le flou est total :
- le naturel et l’artificiel
- le vivant et le manufacturé
- le pur et l’impur
Tous cohabitent dans un ordre hybride, post-catégoriel.
=> Co-hybridation : hybridation et alliances. Le « Neumaticarbol » abrite de nombreuses espèces animales (voir si végétales)
3. Le pneu englouti : de la marginalité à l’invisible
Sur la deuxième photo, l’objet est presque entièrement absorbé :
- visuellement : le pneu est masqué
- symboliquement : le déchet devient invisible, et l’impur devient indiscernable
Cela suggère que l’hybridation est totale, irréversible, et structurelle.
C’est une réponse contemporaine à la pensée de Douglas :
Nous n’assistons plus à des perturbations passagères de l’ordre, mais à l’émergence de nouveaux régimes de composition où l’impur est constitutif du réel. => à l’image des Caraïbes, au regard de son histoire traumatique coloniale.
Exemple du Cemetarbol : (cemento, ciment)

Implication écologique : une nouvelle écologie du compromis
Cette scène n’est pas seulement métaphorique. Elle parle d’un monde :
- saturé de déchets
- dans lequel le vivant n’a d’autre choix que d’intégrer l’artifice
- où les frontières entre nature et technique ne sont plus opérantes
Ce n’est plus la pureté qui sauve, mais la capacité du vivant à négocier avec l’impur.
Ces deux photos forment une narration visuelle du devenir impur dans l’ordre du vivant.
Elles incarnent une version contemporaine du « hors-catégorie » de Douglas : non plus exclu ou rejeté, mais fondu dans un tissu symbolique recomposé.
L’arbre, en digérant le pneu, devient plus qu’un arbre :
➡️ Il devient archive d’une cohabitation matérielle et symbolique, une forme de mémoire vivante de l’anthropocène.
➡️ Il devient perspective d’une cohabitation matérielle et symbolique, une forme de projet d’avenir de l’anthropocène, décoloniale, peut-être post-anthropocène.
Et le « déchet » dans tout ça ? Le pneu en particulier.