Présentation critique de la vie et de l’œuvre de Marcel Mauss
1. Biographie et contexte intellectuel
Marcel Mauss (1872-1950), connu pour être une figure centrale de l’école durkheimienne. Neveu d’Émile Durkheim, a contribué à approfondir et à renouveler les perspectives sociologiques et anthropologiques de son époque. Il a hérité de l’ambition de Durkheim de faire de la sociologie une discipline scientifique, tout en intégrant des approches interdisciplinaires, notamment l’ethnologie et l’histoire des religions. Marcel Mauss a enseigné à l’École pratique des hautes études et a joué un rôle clé dans la fondation de l’Institut d’ethnologie de Paris en 1925.
Marcel Mauss est une figure clé de la sociologie et de l’anthropologie, dont les concepts restent d’une grande actualité, notamment pour comprendre les formes de solidarité et d’échange dans nos sociétés contemporaines. Son œuvre continue d’alimenter les réflexions sur la dette, la générosité et les liens sociaux, bien au-delà du cadre académique. Toutefois, ses analyses méritent d’être complétées par des perspectives plus critiques sur les rapports de pouvoir et la mondialisation des échanges.
De plus, et c’est la raison pour laquelle j’inscris Marcel Mauss dans ma liste de penseur activiste sur ce site. Nommons-le provisoirement de la veine des progressistes, si celle-ci est autant politique que sociale et sociétale.
Marcel Mauss, fondateur de l’ethnologie française qui tout au long de son parcours a su mêler sciences sociales, morale et politique, indiquant ainsi des orientations intellectuelles possibles à une gauche contemporaine en recherche d’elle-même (Dzimira, 2018).
Mauss a été marqué par les événements de son époque, notamment la Première Guerre mondiale, qui l’a affecté personnellement et intellectuellement.
2. Œuvre et apports théoriques
L’œuvre majeure de Mauss est son essai « Essai sur le don » (1925), où il analyse les systèmes d’échange dans les sociétés dites « primitives ». Il y développe la notion de « fait social total », qui englobe les dimensions économique, religieuse, juridique et symbolique des échanges sociaux.
a) Le don et la réciprocité
Dans cet essai, Mauss montre que l’échange de dons dans les sociétés traditionnelles (comme le potlatch chez les Amérindiens ou le kula chez les Mélanésiens) ne repose pas sur une logique purement économique, mais sur un principe d’obligation réciproque :
- Obligation de donner (montrer sa générosité et son prestige).
- Obligation de recevoir (pour ne pas offenser le donateur).
- Obligation de rendre (pour maintenir l’équilibre social).
Il en tire une critique implicite de l’économie capitaliste moderne, où l’échange est souvent réduit à sa dimension utilitaire et monétaire, sans considération pour les relations sociales et symboliques sous-jacentes.
b) La notion de « fait social total »
Un autre apport majeur de Mauss est la notion de fait social total, qui désigne un phénomène englobant plusieurs dimensions de la vie sociale (économique, juridique, politique, religieuse). Cette approche multidimensionnelle a influencé l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss, ainsi que des disciplines comme la sociologie économique et les sciences politiques.
c) Premier ethnologue du corps. La mémoire du corps comme outil ethnologique
Le corps de l’autre, observé, et le corps de l’ethnologue.
Influence et postérité
L’impact de Mauss s’étend bien au-delà de son époque. Son travail a influencé :
- L’anthropologie : Lévi-Strauss reprend ses analyses pour construire sa théorie du structuralisme.
- La sociologie économique : Karl Polanyi et Pierre Bourdieu s’inspirent de sa critique du marché et de l’importance des échanges symboliques.
- La philosophie politique : La revue « Mauss » et des penseurs comme Marcel Hénaff revisitent la notion de don en lien avec l’éthique et la reconnaissance sociale.
- Ma méthode ethnographique, donc l’usage du corps nomade
3. Critiques et limites, par ChatGPT, corrigé et complété (ndlr)
Malgré son apport considérable, selon ChatGPT, l’œuvre de Mauss présente certaines limites. Je les conçois, mais les contextualise.
- Approche trop descriptive : Certains critiques estiment que son travail repose davantage sur l’accumulation d’exemples ethnographiques que sur un modèle théorique structuré. Avec le recul, est-ce une faiblesse ?
- Vision évolutionniste implicite : En étudiant les sociétés dites « primitives », Mauss suggère parfois une distinction trop nette entre ces sociétés et les sociétés modernes, ce qui a été remis en question par les anthropologues contemporains. Mais cette critique me semble infondée, ou plutôt partiellement vraie. S’il est vrai que l’époque (et la discipline) établit des critères d’évolution à partir de sa matrice occidentale dans un contexte colonial (un stade d’évolution liée à une race), la question est autre. La vision évolutionniste est sociale : une civilisation qui, tout en garantissant à toutes une autonomie et une sécurité existentielles croissantes, élimine progressivement les consommations pléthoriques, source de manque de temps, de nuisances, de gaspillages et de frustrations, au profit d’une vie plus détendue, conviviale et libre (Gorz, 2013,57). Une vision discutable donc, mais débarrassée de ses scories racistes ; profondément humaniste et optimiste, centrée sur le bonheur des individus.
- Absence d’analyse du pouvoir : Contrairement à Pierre Bourdieu ou Michel Foucault, Mauss ne développe pas une analyse poussée des rapports de domination dans les échanges sociaux, myope sur les questions de race, classe, genre, donc. Il fleurte avec l’anarchisme, mais s’en méfiait pour une bonne raison : l’antisémitisme n’y était pas absent (cf. Gravelle).
Marcel Mauss, savant et politique, par Sylvain Dzimira
Le texte le plus connu de Mauss est son Essai sur le don, publié dans L’Année sociologique de 1923-1924. C’est en explicitant l’héritage de l’auteur et en tentant d’analyser les « raisons du chef d’œuvre » que Sylvain Dzimira revient dès les premières pages sur cet ouvrage majeur. À partir des monographies d’ethnologues comme celles de Bronislaw Malinowskiou de Franz Boas et en s’appuyant sur une grande connaissance de la philosophie classique, bouddhiste, de la culture indienne, de l’histoire et des mythes de peuples européens, Mauss y forge sa description de la « morale du don » comme système d’échange « naturel » existant dans toutes les sociétés humaines, sorte de « matrice anthropologique ». Pour lui, plus qu’un simple système d’échanges, le don fonde ce que nous appellerions aujourd’hui la « cohésion sociale ». C’est à travers le don comme institution sociale que la vie en société est possible.
Celui-ci est l’opérateur d’équilibre entre l’atomisation (l’individualisme) et la fusion (le totalitarisme).
Dans son célèbre texte et via la description qu’il fait du potlatch– rituel de la tribu des kwakiutl–, Mauss détaille également son ethos démocratique en trois règles essentielles : une hiérarchie réversible, le refus de la domination, le tout dans les conditions de la liberté. Chez les kwakiutl en effet, le commandement n’est pas le pouvoir sur les personnes mais le pouvoir de susciter l’action…
À la recherche des fondements du don, Mauss fait remarquer au fil de sa démonstration que dans les sociétés qu’il étudie, le don appelle le contre-don. Il décrit une sorte de cercle de l’échange dans la mesure où l’on n’est jamais quitte d’un échange, une sorte de marché faustien. Mais Mauss constate également qu’il n’y a pas de cercle vicieux pour autant, et qu’au contraire, le système possède des règles précises bornant ces échanges, lesquelles permettent d’entretenir des rapports pacifiques entre les groupes, mêmes « ennemis ».
À travers sa « morale du don », Mauss nous propose donc une certaine forme de vivre ensemble qui n’oublie pas les penchants de l’homme : « Il ne faut pas souhaiter que le citoyen soit trop bon et trop subjectif, ni trop insensible et trop réaliste. Il faut qu’il ait un sens aigu de lui-même mais aussi des autres, de la réalité sociale […] Il faut qu’il agisse en tenant compte de lui, des sous-groupes et de la société. Cette morale est éternelle ; elle est commune aux sociétés les moins élevées que nous puissions imaginer. Nous touchons le roc. Nous ne parlons même plus en termes de droit, nous parlons d’hommes et de groupes d’hommes parce que ce sont eux, c’est la société, ce sont des sentiments d’hommes en esprit, en chair et en os, qui agissent de tout temps et ont agi partout »
Le socialisme maussien : ni capitaliste, ni communiste mais une morale
Parallèlement à son métier d’anthropologue et dès son plus jeune âge, Marcel Mauss s’est engagé en politique. Militant, il publie des textes dans de nombreux journaux. Ami de Jaurès et fervent socialiste, il prend position dès les années 1920 pour l’instauration d’une assurance sociale. Pacifiste et démocrate, il milite contre l’individualisme prôné par les capitalistes et, dans le même temps, contre le collectivisme instauré de force par les bolcheviks. L’intérêt de l’ouvrage de Sylvain Dzimira est de nous montrer combien les travaux scientifiques de l’ethnologue informent ses nombreuses prises de positions dans le débat public, combien les deux facettes de Mauss interagissent, combien ses réflexions scientifiques ont nourri ses réflexions politiques et réciproquement.
Pour Mauss, socialisme, pacifisme et démocratie doivent être considérés ensemble, comme une sorte de troisième voie, alternative à la fois au capitalisme des capitalistes et au collectivisme des communistes. Les premiers doivent être combattus car ils font passer les intérêts individuels en général et les leurs en particuliers avant ceux de la collectivité ; les seconds doivent être écartés car ils font passer par le sang et la force l’intérêt collectif et les leurs avant ceux des individus ainsi privés d’autonomie et de liberté. S’appuyant sur sa morale du don, il propose que personne, ni les individus ni l’État, ne soit privilégié. On doit pouvoir se situer dans un juste milieu qui ressemble pour lui, à s’y méprendre, à l’idéal démocratique.
De la même manière, et en opposition avec les marxistes, Mauss insiste sur le fait que le mal n’est pas tant le capital que les capitalistes, qui font du profit l’objectif ultime de la circulation des biens et des rapports des individus aux choses. Le Mauss ethnologue a appris de son travail sur les sociétés traditionnelles que l’on y accumule aussi des richesses, sinon comment pouvoir donner ? Produire et accumuler, n’est donc pas condamnable, c’est même nécessaire, mais cela doit se faire en vue d’une meilleure distribution des richesses ! « Savoir être généreux sans pour autant sacrifier ses intérêts (le capital), ne serait-ce que pour pouvoir être durablement généreux, telle est l’une des dimensions de la morale du socialisme maussien » écrit Sylvain Dzimira.
Dans la première partie du XXesiècle, le socialisme dont se réclame Mauss se présente comme l’alternative aux deux extrêmes qui luttent pour imposer leur système politique et moral : communistes (collectivistes) contre capitalistes (individualistes). L’anti-utilitarisme de Mauss rappelle que la politique n’a pas vocation à prendre uniquement des décisions rationnelles pour des raisons et des objectifs rationnels. La politique concerne le vivre ensemble et ne doit pas être instrumentalisée par le capital, tel était le socialisme, emprunt d’ethnologie, de Marcel Mauss. À l’ombre de l’idéal démocratique ne peut exister qu’une société du don agonistique permettant de lutter à la fois contre la guerre et la pauvreté.
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