I ¨¨¨///// Corsaires des déchets /////
II ¨¨¨///// en solitaire : le pirate ferrailleur /////
III¨¨¨//// La figure du soigneur /////
Figures de Bocas



Dimanche 1 er juin, au matin, et lundi 2, dans l’après-midi, Bocas, 2025
I. ///// Travail en équipe et en collectivité /////
Camion de récupération chargé de matériaux divers, stationné dans un espace urbain de Colón (2e avenue), dimanche 1 juin 2025.

Ce que montre la photo 1
- Contenu :
- Feuilles de tôle ondulée empilées (souvent récupérées lors de démolitions ou rénovations).
- Sac plastique géant rempli de canettes métalliques → matériau recyclable à forte valeur de revente. Matériau qui est un point de contact entre l’informel et le formel.
- Tuyaux métalliques, bois, plastiques… → assemblage hétéroclite de « rebuts » ? Ou pas ?
- Disposition du chargement :
- Orchestration minutieuse d’un empilement maximal : pratique d’optimisation de l’espace, signe de maîtrise.
- Le chargement devient presque une installation, une forme de mise en scène du rebut, à la fois fonctionnelle et expressive. Cette analyse prend sa valeur aussi avec les autres mises en scène expressive, et parfois pas du tout fonctionnelle.
- Contexte visuel :
- Le camion est immatriculé et semble circuler légalement → pratique tolérée, sinon institutionnalisée.
- Présence du seul centre commercial à l’arrière (« Toto »), 3 étages, géré par des Chinois (ou pas, ils sont nommés Los Chinos→ coexistence entre économie formelle et informelle.
Pirate style : scénographie du rebut => fil rouge de la subversion
La manière dont les matériaux sont entassés, liés, embarqués peut être vue comme un style pirate, au sens d’une navigation rusée dans les interstices du système.
Cela fait écho à des formes de résistance esthétique et matérielle, où la marge devient moteur d’invention, voire de revendication que l’on retrouve en Europe dans les milieux punks, autonomes, et aussi dans des espaces habités par la communauté Rom (dans sa version choisie et non subie), ou dans l’esthétique « Baraki » => déclassé => déchet humain +déchets = hybride (Marie Douglas) => réappropriation identitaire.
Coopération des habitant·es : au centre du mouvement des déchets, passeurs : ballet collectif => conscience, organisation
La masse des matériaux et leur variété suggèrent que cette collecte ne vient pas d’un seul point : elle s’appuie sur une chaîne informelle de dons, de dépôts, de mises à disposition par des habitant·es, des commerces, … La circulation des déchets sur l’île, à la fois formelle et informelle semble fortement organique, aléatoire de prime abord. Suivre le déchet sur un temps long permet d’observer l’organisation des circuits de recyclage, en ville, et sur l’île Colon, les actions individuelles et/ou collectives qui témoignent d’une sensibilité aux déchets et le désir de bien faire, de faire en sorte que le déchet soit non seulement évacué, mais aussi recyclé. Les petits tas de déchets (organisés et prévus ou « sauvages ») informent celui qui jette le déchet (et est bien souvent celui qui a transformé l’objet en déchet -canette de bière, bouteilles en plastique, emballage de fast-food, …- et ceux qui les ramassent (économie de temps)
Cela permet de penser le déchet non pas seulement comme un reste solitaire, mais comme un lien social, voire un outil d’empouvoirement collectif.
Parfois, je les entends, aussi, comme en Belgique avant, et comme au Nicaragua, crier, parfois avec un haut-parleur- pour annoncer leur passage, et les matériaux qu’ils emportent (machine à laver, …)
Los Basureros, pratiques informelles et dynamiques de coopération autour du rebut.
« Scène de transbordement intercamions »
Ce que montre la photo :
Analyse en flux
1. Coopération inter-classes et/ou inter-marges ?
Il ne s’agit pas d’une collecte solitaire (cf. infra), mais d’un acte collectif, sans doute (à confirmer) entre deux types de ramassage :
- Un camion municipal ou sous-traité par l’État (celui de gauche, sur la route, en mouvement, et provisoirement à l’arrêt) ? Ou propriété privée de l’équipe ?
- Le camion de récupération informelle des « Basureros » (celui de droite).
Ce croisement, rare dans les représentations officielles, matérialise une zone grise entre gestion municipale et gestion informelle (qui témoigne d’une gestion commune mixte municipale et « privés »?), où se déploie un savoir-faire populaire, où le rebut circule entre les mains (et les statuts. - La temporalité est intéressante : on ne sait pas quand la ferraille sera ramassée ; on ne sait pas quand elle arrivera au centre de recyclage, si tous les tas de déchets métalliques de la ville seront récoltés en même temps (un jour, une semaine, ?). Les travailleurs ne sont pas soumis à un horaire fixé par l’extérieur, la quantité fait la somme payée. Ces questions seront l’objet de « terrains », séjours ethnographiques à venir …
2. Le transbordement d’un camion à l’autre est-elle une allégorie d’un abordage pirate ?
Le « vaisseau » que l’on a vu précédemment devient ici plateforme d’orchestration logistique, une allégorie de la récolte pirate. L’homme en hauteur adopte presque une posture de capitaine — guidant, équilibrant, évaluant. Il ne porte plus l’objet mais l’accompagne encore, comme pour partager la tâche de l’homme au sol… oui veiller au trésor ?
Cela renforce la lecture d’un style pirate : autogestion, ruse, réemploi, débrouille, autorité émergente (bien combler le vide du recyclage officiel, qui n’existe pas), en lien avec la communauté dans un monde de flux fragmentés. Il faudrait voir comment l’auto-gestion influe sur l’efficacité, et même la sécurité. On observe en tout cas sur ces photographies une attention à l’autre, un aménagement collectif de gestes. L’équipe fait sa part dans la gestion des déchets sur l’île de Colon.
3. Le rebut comme ressource collective
Le métal n’est pas un déchet qui part à la décharge, c’est un objet transformable, de valeur variable. Récupéré, détourné, peut-être, détournable.
Il ne s’agit plus d’un simple « reste », mais d’un point de contact (la main est importante, le contact manuel qui désindustrialise (?) et réévalue) le lien entre :
- temps du passé colonial et pratiques contemporaines utiles pour le futur;
- habitants ; humains et non-humains, comme le raconte Miguena=> cf. épisode des chiens et de leurs relations avec les corsaires des déchets ; de Miguena et ma propre relation avec eux)
- systèmes formels/informels ;
- corps et matières => co-habitation mutualiste, hybride ou co-hybridation ?

II ///// Travail en solitaire : le pirate ferrailleur /////
« Le Pirate me salue, un bout de métal dans la main », les pieds dans la boue, -comme moi, la boue est partout- : le ferrailleur est pacifiste. Il se nomme Hector, se fait surnommer Jack Sparrow, et aime citer Diogène.

(forcément ferrailleur, puisque pirate ? que tient-il dans sa main gauche … un objet en métal… on dirait une épée miniature)
Hypothèse du pirate, figure positive d’hybride humain
III///// Travail en solitaire : la figure du soigneur ? /////
les petits tas organisé du jardinier

Analyse : une écologie du geste
Un homme seul, chapeau rond mou à large bord, combinaison intégrale et bottes, triant minutieusement des déchets sur une pelouse fraîchement coupée.
Deux petits tas distincts visibles :
Un de bouteilles plastiques (séchées, alignées, presque prêtes à l’emploi ou au transport).
Un plus hétéroclite, en cours de tri.
À l’arrière-plan, un mur noir sans fenêtre, surmonté d’unités de climatisation. On devine une bâtisse fermée, probablement institutionnelle : à vérifier.
- le déchet est touché, sélectionné, revalorisé, non pas en masse, mais à la main, à hauteur d’homme.
- La posture penchée, presque respectueuse, contraste radicalement avec l’idée d’un rebut à évacuer.
- sans doute ces déchets sont-ils apparus lors du travail de défrichage, à l’aide de la débroussailleuse, avant masqués par les herbes hautes. la défricheuse est devenue un outil glocal.
- Peut-être travaille-t-il à son compte, sur son espace, ou sur l’espace d’un autre, alors employé ?
1. Le rebut ré-humanisé par le soin
Ce tri manuel rappelle ce que Michelle Murphy appelle des pratiques de soin environnemental invisibilisées, exercées par des « sujets subalternes » dans un monde « abîmé »impur » => la pureté n’est plus un choix possibles (Liboiron).
2. Un paysage de transition : entre nature fauchée et rebut redressé
- Le gazon coupé est encore frais — l’odeur, l’humidité, la texture sont presque palpables. Ce gazon est coupé avec une débroussailleuse, objet « social total », qui méritera une page inter-continentale.
- Le contraste entre l’environnement « nettoyé » et l’acte de tri rappelle que le propre et le sale sont des constructions sociales mouvantes (Douglas, 1966).
- L’homme ne fait pas que « nettoyer » : il recompose une logique du vivant et de la matière.
- La technique des tas (organisés pour une autre activité à venir) est visible partout sur l’île
3. Réappropriation et empouvoirement silencieux ?
Cette scène parle d’un autre mode d’habiter avec le déchet : palpation, contact direct, expertise des ferrailleurs (tri) : celui où les déchets deviennent vecteurs d’action individuelle et collective et d’économie.
- Cette personne agit sans badge, sans uniforme municipal : elle n’est sans doute pas un « agent » officiel, mais un acteur ancré, peut-être un jardiner.
- Organiser un entretien formel avec les travailleurs gestionnaire des déchets métalliques sur Bocas.
- Suivre Hector une journée
- enquête ethnographique à suivre
Pneu décolonial : cohabitation, hybridation, ou co-hybridation ?
« Le tas n’est pas un déchet », Bocas, 31 mai 2025 : organisation individuelle et collective informelles des déchets sur Colon
Extension du domaine de la butte : exemple pertinent d’un savoir local et localisé (connaissance indigène fine de l’environnement, des sens des courants, des forces marées, des vagues, …) mis en place par les jardiniers des plages pour lutter contre l’érosion d’une plage touristique, recyclé par le gestionnaire, immigré, occidental, propriétaire d’une parcelle- de l’emplacement touristique, -bar, jardins et plage-, formalisé.
Formalisé c’est-à-dire :
- en béton, matière hégémonique de l’île
- dans la ligne droite de la butte, les cylindres de béton alignés poursuivent l’idée, le stratagème local
- avec au centre du cylindre posé verticalement, on a planté un jeune palmier.
- ce sont des ouvriers locaux qui se chargent des travaux
- L’objectif est que l’eau ruisselle de l’intérieur des terres vers l’extérieur de l’emplacement touristique, avec un épais mur de béton en amont et la butte végétale « originelle » agrandie





